Asakusa
Une ambiance suspendue dans les brumes d’encens, c’est une plongée attachante dans l’histoire de la vieille Tokyo ; Asakusa dont le nom signifie « Herbes légères », la ville basse d’autrefois, se révèle l’amour du petit peuple. Posée sur les bords de la rivière Sumida, Asakusa a seule le secret de son charme : petit havre de joie et de plaisirs du Japon oriental et traditionnel*, loin de l’agitation de la Yamanote (ville haute), c’est ici que se regroupaient et vivaient entre autres pêcheurs et artisans. Irréductiblement rattachée à son fameux temple Senso-ji, Asakusa, le sixième district, n’en reste pas moins surprenante lorsqu’elle se dévoile sous toutes ses facettes…
/ ! \ Cet article aborde des sujets sérieux comme la peine de mort ou la prostitution,
avec quelques photos pour le moins explicites.
* * * * *
• Plongée dans la vieille ville
• Sous les facéties : Yoshiwara
__________________________________________
P L O N G E E D A N S L A V I E I L L E V I L L E
Considéré comme le plus ancien temple bouddhique de Tokyo, le Senso-ji se dresse sur les berges de la rivière Sumida dans ses couleurs rougeoyantes, au milieu de la ville qui lui semble devenue un rempart. La légende du temple raconte que, en 628, sous le règle de l’impératrice Suiko -trente-troisième empereur du Japon selon l’ordre traditionnel de la succession et première femme à porter ce titre- les frères Hamanari et Takenari Hinokuma remontèrent dans leurs filets une statuette de la déesse Kannon alors qu’ils pêchaient sur les bords de la rivière Sumida. La découverte fut telle qu’elle se propagea jusqu’au seigneur du village, Haji no Nakamoto, qui s’empressa de venir rencontrer les deux frères pour honorer la statue et sa déesse. La déesse Kannon était en effet un Bodhisattva, c’est-à-dire une représentation de bouddha avant qu’il n’ait atteint l’éveil, ayant fait le choix de suspense son entrée dans le nirvāṇa afin de veiller sur les hommes à la façon des anges gardiens. Kannon est également l’une des principales émanations de la compassion du Bouddha, c’est celle qui entend les cris du monde.
Le Senso-ji en lui-même est imposant puisqu’érigé au centre d’un complexe bouddhique dont l’enceinte englobe des rues entières du quartier d’Asakusa. En effet, l’entrée principale du temple est délimitée par une imposante et impressionnante porte : la Kamanarimon, autrement appelée la « Porte du tonnerre ». Elle est gardée par les dieux du Vent et du Tonnerre, Fujin et Raijin que l'on trouve aussi sous les noms de Kaminari-sama, Raiden-sama ou Naru kami.
Ordinairement dépeint comme un démon cornu au corps rouge, Raijin porte un tambour qui évoque le grondement du tonnerre. Il est accompagné de Raiju, "animal tonnerre" dont le corps fait d'éclairs ressemble selon les dires à celui d'un chat, d'un loup bleu et blanc ou d'une belette, et dont le cri est un roulement de tonnerre. L’on dit de cet animal qu’il aurait la fâcheuse habitude de s'assoupir dans le creux du nombril des humains endormis. Lorsque son maître a besoin de lui il décocherait une flèche pour le réveiller, causant alors quelques blessures au ventre du malheureux dormeur. C'est pourquoi, pour les japonais, selon la croyance, il serait bon de dormir sur le ventre les nuits d'orage et c’est encore pourquoi les parents recommandent à leurs enfants de cacher leur nombril.
Fujin, lui, connu pour être l’une des plus anciennes divinités du panthéon japonais, aurait été présent dès la création du monde. Le couple primaire Izanagi et Izanami donnèrent naissance à l’archipel japonais en usant de leur souffle pour dissipait les brumes qui couvraient alors les nouvelles terres, donnant, par cette occasion, naissance à Fujin. Ainsi, l’air et le vent remplirent l’espace entre ciel et terre, créant de cette manière une précieuse porte permettant de passer du monde céleste au monde terrestre. Bien souvent, Fujin est représenté comme un terrible Oni (démon) évoluant dans les airs, drapé d’une peau de léopard et portant avec lui un sac contenant les vents qu’il déchaîne à sa guise. Il n’est pourtant pas si dangereux, mais fait partie de ces Kami à l’humeur changeante, capable de servir aussi loyalement les êtres humains que de les ennuyer juste pas amusement.
Raijin et Fujin se seraient combattus à de nombreuses reprises. Et si l’on considère que le vent chasse l’orage, alors il s’agit bel et bien d’un duel sans fin entre les dieux, car l’un revenant systématiquement dès que l’énergie de l’autre est trop faible pour éclater dans le ciel.
La porte Kamanarimon, gardée par ces deux puissants dieux, abrite en son centre la plus grande lanterne du Japon, éclatante de sa couleur rouge. Elle est, au fil du temps devenir l’un des signes distinctifs les plus célèbres du quartier et reste connue dans tout l’archipel. Une fois passée le portail, se dévoile la Nakkamise-dori, grande et longue arcade commerciale de 250 m, bondée de monde, et sur laquelle débordent les étalages de quelques 90 boutiques où l’on trouve tout le nécessaire des souvenirs typiquement japonais. Les boutiques, qui appartenaient auparavant au gouvernement métropolitain de Tokyo, viennent tout juste d’être vendues au temple Senso-ji en juillet 2017. Conséquemment, le loyer de chacune d'elles augmentera de 16 fois en janvier 2018… La Nakkamise-dori débouche tout naturellement sur la seconde porte ouvrant le chemin au Senso-ji : la porte Hozomon ou « porte de la salle au trésor » gardée par deux statues de Nio, le gardien du Bouddha et qui se voit parée, sur son arrière, de deux énormes sandales, nommées o-waraji, que les fidèles disent représenter la taille de Bouddha et dont le toucher porterait la bonne fortune. Juste derrière elle se dresse la pagode de 5 étages, la deuxième plus haute du Japon après celle du temple de Toji, au sud de Kyoto.
Dans l’enceinte du temple, le centre de la cour est occupé par un grand encensoir autour duquel se pressent de nombreux japonais pour s’attirer les fumées d’encens, réputées soigner les plaies et les maux du corps, ou prévenir ceux qui pourraient advenir. De part et d’autres, plusieurs étales proposent oracles, ou Omikuji, et charmes protecteurs pour toutes sortes d’occasion (pour protéger les déplacements en voiture, pour les examens, le mariage…). Enfin, le bâtiment principal du temple se dresse au fond de la cour, et, en haut de sa volée de marche, il est parfois possible de voir les moines prier ou s’affairer autour des rituels Tendai. Réfugié sous son toit, mieux vaut savoir ouvrir les yeux sur le plafond pour ne pas passer à côté des peintures qui l’ornementent. Juste sur la gauche du bâtiment principal se tient un petit jardin très agréable où peu de monde se presse, c’est ici l’assurance de pouvoir passer quelques instants tranquillement tout en admirant les carpes Koï barboter dans l’étang.