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Asakusa

               Une ambiance suspendue dans les brumes d’encens, c’est une plongée attachante dans l’histoire de la vieille Tokyo ; Asakusa dont le nom signifie « Herbes légères », la ville basse d’autrefois, se révèle l’amour du petit peuple. Posée sur les bords de la rivière Sumida, Asakusa a seule le secret de son charme : petit havre de joie et de plaisirs du Japon oriental et traditionnel*, loin de l’agitation de la Yamanote (ville haute), c’est ici que se regroupaient et vivaient entre autres pêcheurs et artisans. Irréductiblement rattachée à son fameux temple Senso-ji, Asakusa, le sixième district, n’en reste pas moins surprenante lorsqu’elle se dévoile sous toutes ses facettes…

 

/ ! \  Cet article aborde des sujets sérieux comme la peine de mort ou la prostitution,

avec quelques photos pour le moins explicites.

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Plongée dans la vieille ville 

Sous les facéties : Yoshiwara 

Sous le sabre : Kozukappara

Sanya : ville des bannis 

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                    P L O N G E E   D A N S   L A   V I E I L L E   V I L L E

 

                Considéré comme le plus ancien temple bouddhique de Tokyo, le Senso-ji se dresse sur les berges de la rivière Sumida dans ses couleurs rougeoyantes, au milieu de la ville qui lui semble devenue un rempart. La légende du temple raconte que, en 628, sous le règle de l’impératrice Suiko -trente-troisième empereur du Japon selon l’ordre traditionnel de la succession et première femme à porter ce titre- les frères Hamanari et Takenari Hinokuma remontèrent dans leurs filets une statuette de la déesse Kannon alors qu’ils pêchaient sur les bords de la rivière Sumida. La découverte fut telle qu’elle se propagea jusqu’au seigneur du village, Haji no Nakamoto, qui s’empressa de venir rencontrer les deux frères pour honorer la statue et sa déesse. La déesse Kannon était en effet un Bodhisattva, c’est-à-dire une représentation de bouddha avant qu’il n’ait atteint l’éveil, ayant fait le choix de suspense son entrée dans le nirvāṇa afin de veiller sur les hommes à la façon des anges gardiens. Kannon est également l’une des principales émanations de la compassion du Bouddha, c’est celle qui entend les cris du monde.

                     Le Senso-ji en lui-même est imposant puisqu’érigé au centre d’un complexe bouddhique dont l’enceinte englobe des rues entières du quartier d’Asakusa. En effet, l’entrée principale du temple est délimitée par une imposante et impressionnante porte : la Kamanarimon, autrement appelée la « Porte du tonnerre ». Elle est gardée par les dieux du Vent et du Tonnerre, Fujin et Raijin que l'on trouve aussi sous les noms de Kaminari-samaRaiden-sama ou Naru kami.

Plongée dans la vieille ville

               Ordinairement dépeint comme un démon cornu au corps rouge, Raijin porte un tambour qui évoque le grondement du tonnerre. Il est accompagné de Raiju, "animal tonnerre" dont le corps fait d'éclairs ressemble selon les dires à celui d'un chat, d'un loup bleu et blanc ou d'une belette, et dont le cri est un roulement de tonnerre. L’on dit de cet animal qu’il aurait la fâcheuse habitude de s'assoupir dans le creux du nombril des humains endormis. Lorsque son maître a besoin de lui il décocherait une flèche pour le réveiller, causant alors quelques blessures au ventre du malheureux dormeur. C'est pourquoi, pour les japonais, selon la croyance, il serait bon de dormir sur le ventre les nuits d'orage et c’est encore pourquoi les parents recommandent à leurs enfants de cacher leur nombril.

Fujin, lui, connu pour être l’une des plus anciennes divinités du panthéon japonais, aurait été présent dès la création du monde. Le couple primaire Izanagi et Izanami donnèrent naissance à l’archipel japonais en usant de leur souffle pour dissipait les brumes qui couvraient alors les nouvelles terres, donnant, par cette occasion, naissance à Fujin. Ainsi, l’air et le vent remplirent l’espace entre ciel et terre, créant de cette manière une précieuse porte permettant de passer du monde céleste au monde terrestre. Bien souvent, Fujin est représenté comme un terrible Oni (démon) évoluant dans les airs, drapé d’une peau de léopard et portant avec lui un sac contenant les vents qu’il déchaîne à sa guise. Il n’est pourtant pas si dangereux, mais fait partie de ces Kami à l’humeur changeante, capable de servir aussi loyalement les êtres humains que de les ennuyer juste pas amusement. 

               Raijin et Fujin se seraient combattus à de nombreuses reprises. Et si l’on considère que le vent chasse l’orage, alors il s’agit bel et bien d’un duel sans fin entre les dieux, car l’un revenant systématiquement dès que l’énergie de l’autre est trop faible pour éclater dans le ciel.

                La porte Kamanarimon, gardée par ces deux puissants dieux, abrite en son centre la plus grande lanterne du Japon, éclatante de sa couleur rouge. Elle est, au fil du temps devenir l’un des signes distinctifs les plus célèbres du quartier et reste connue dans tout l’archipel. Une fois passée le portail, se dévoile la Nakkamise-dori, grande et longue arcade commerciale de 250 m, bondée de monde, et sur laquelle débordent les étalages de quelques 90 boutiques où l’on trouve tout le nécessaire des souvenirs typiquement japonais. Les boutiques, qui appartenaient auparavant au gouvernement métropolitain de Tokyo, viennent tout juste d’être vendues au temple Senso-ji en juillet 2017. Conséquemment, le loyer de chacune d'elles augmentera de 16 fois en janvier 2018… La Nakkamise-dori débouche tout naturellement sur la seconde porte ouvrant le chemin au Senso-ji : la porte Hozomon ou « porte de la salle au trésor » gardée par deux statues de Nio, le gardien du Bouddha et qui se voit parée, sur son arrière, de deux énormes sandales, nommées o-waraji, que les fidèles disent représenter la taille de Bouddha et dont le toucher porterait la bonne fortune. Juste derrière elle se dresse la pagode de 5 étages, la deuxième plus haute du Japon après celle du temple de Toji, au sud de Kyoto.

               Dans l’enceinte du temple, le centre de la cour est occupé par un grand encensoir autour duquel se pressent de nombreux japonais pour s’attirer les fumées d’encens, réputées soigner les plaies et les maux du corps, ou prévenir ceux qui pourraient advenir. De part et d’autres, plusieurs étales proposent oracles, ou Omikuji, et charmes protecteurs pour toutes sortes d’occasion (pour protéger les déplacements en voiture, pour les examens, le mariage…). Enfin, le bâtiment principal du temple se dresse au fond de la cour, et, en haut de sa volée de marche, il est parfois possible de voir les moines prier ou s’affairer autour des rituels Tendai. Réfugié sous son toit, mieux vaut savoir ouvrir les yeux sur le plafond pour ne pas passer à côté des peintures qui l’ornementent. Juste sur la gauche du bâtiment principal se tient un petit jardin très agréable où peu de monde se presse, c’est ici l’assurance de pouvoir passer quelques instants tranquillement tout en admirant les carpes Koï barboter dans l’étang.

                Le Senso-ji fut victime des bombardements durant la seconde Guerre Mondiale et reconstruit à l’identique en 1958. Témoins de la Guerre, dans l’enceinte du temple, les arbres rescapés, au feuillage toujours verdoyant dont le tronc porte les stigmates des bombes.

                D’autres petits temples aux alentours sont constitutifs du Senso-ji dont le Matsuchiyama Shoden où « Ma » signifie « vrai », « Tsuchi », la terre et "Yama", « la montagne » pour désigner le seul endroit où il y avait de la terre aux alentours, Asakusa, par le passé, se situant sur une zone de marécage. La légende dit que, sous le règne de l'impératrice Suiko, la montagne de Matsuchi s'est soudainement élevée et qu’un dragon d'or est descendu du ciel pour la protéger. Pendant l'été six ans plus tard, alors que la terre était en proie à une grave sécheresse qui entraînait la famine dans les villages voisins, le dragon descendit à nouveau de la montagne. Cette colline était, avant que les hauts bâtiments ne soient construit, le seul endroit où l’on pouvait avoir une vue imprenable sur la ville en contrebas.

 

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                      S O U S   L E S   F A C E T I E S :   Y O S H I W A R A

 

                  On le sait peut-être moins, mais sous ses airs figés dans le temps, Asakusa, à l’époque, était au Provinciaux ce que les casinos sont aux joueurs. Durant la période Edo, la ville basse était un quartier de divertissement, profitant du développement du district voisin, Kuramae, grâce aux magasins de riz et à la monétisation des services de stockage pour en tirer quelques fruits à son compte. Dès l’époque Tokugawa, la foule afflue et reflue entre les petits théâtres et maisons de Geisha bâties à proximité d’Asakusa par les gardiens de ces maisons de riz enrichis, les fadasashi. La prospérité déborde et bien vite s’installent dans le sixième district les toutes premières salles de cinéma de Tokyo, dont la plus connue, le Denkikan qui présentait des spectacles mettant en avant l’électricité (« denki » en japonais), les tous premiers music-hall et club de strip-tease. Le rendez-vous par excellence pour faire la fête, boire et s’amuser.

                Le travail se concentrant à Edo, nombreux étaient les hommes venus s’enraciner dans la capitale, laissant femme et enfants derrière eux. C’est tout naturellement, donc, que ces hommes seuls se dirigeaient, après une virée à Asakusa, vers les lieux tous proches susceptibles d’assouvir leurs désirs sexuels. Et nombreuses étaient les possibilités de louer les services d’une prostituée dans ce coin de la ville !

               Un humble tenancier d’une maison close dans la capitale Edo suggéra au Shogun de créer un quartier exclusivement consacrés aux joies du corps, mais celui-ci refusa dans un premier temps, considérant que la création d’un tel quartier présupposerait une reconnaissance légitime de la prostitution par le régime. Finalement, il choisit de mettre bon ordre dans le développement de cette activité, prenant compte des avantages que présentait un tel encadrement. Par un décret Shogunal, Tokugawa Hidetada, deuxième Shogun Tokugawa, limita alors la prostitution à des quartiers bien précis appelés kuruwa (ou quartiers réservés). Ce fut alors l’occasion d’instaurer des « quotas de consommation » en filtrant le flux des clients et en leur interdisant de rester plus de 24h dans le quartier, mais encore de contrôler l’identité des prostituées afin de réguler le problème de la traite des femmes et le nombre d’enlèvements.

             Yoshiwara fut celui de Tokyo, ouvert en 1617. C’est cependant en 1656, en raison d’un besoin d’espace en lien avec la croissance de la ville que le gouvernement décida de relocaliser le quartier des plaisirs charnels. Le voici réimplanté juste au Nord d’Asakusa, en bordure de la ville sur un marécage asséché, mais c’était sans compter sur le grand incendie Meireki de 1657 qui, par le plus malheureux des hasards, le détruisit. Selon la légende, une jeune fille rejetée par un garçon qu’elle aimait profondément se laissa dépérir jusqu’à ce que la mort ne vienne la cueillir. Lors de ses funérailles, sa mère apporta au temple le kimono qu’elle portait afin qu’il soit brûlé en même temps que son corps. Ce kimono était en fait maudit, causant la mort de qui le portait : les trois adolescentes l’ayant auparavant endossé étaient en effet passée de vie à trépas. Alors que les moines essayaient de consumer le tissu, une violente rafale de vent emporta l’une des manches enflammée qui, au contact du toit, embrasa le temple et se propagea au reste de la ville. C’est ainsi que l’incendie se vit couronné du nom « incendie aux longues manches ».

Incendie de Meireki
Sous les facéties Yoshiwara

               Mais non loin s’en faut, le quartier fut reconstruit une nouvelle fois et rebaptisé Shin Yoshiwara (autrement dit Nouveau Yoshiwara). Le lieu, soigneusement clos, était entouré de fossés : accessible uniquement en barque. Chaque allée et venue, était contrôlée, avec l’obligation pour tout visiteur quel que soit son rang, d’être désarmé. Cette mesure visait en fait à décourager les Samouraïs d’entrer dans l’enceinte de Yoshiwara, mais cela ne les empêchait, bien évidemment, guère de s’y rendre. Les classes sociales n'étaient pas prises en compte : un roturier avec suffisamment d'argent, capable de s’offrir les plaisirs de la chair, était traité à l'égal d'un samouraï. En revanche, les clients étaient désignés selon leur attitude : les « habitués » étaient des tsu, les blancs-becs étaient les shirōto et les rustres, les yabō.

               Au XVIIe siècle, 1750 prostituées étaient recensées. 200 ans plus tard, elles étaient plus de 9000. Ces jeunes femmes, souvent vendues par leur famille encore enfants (généralement entre sept et douze ans) se répartissaient au sein d’une hiérarchie très stricte. Avant 1750, la hiérarchie dénombrait 4 rangs de courtisanes :

• Les « Tayu » étaient les prostituées de haut rang. En 1642, elles étaient au nombre de 18 à Yoshiwara. En 1751 n’en existait plus qu’une seule. Apparue avant les geishas, les Tayu se devaient d’être instruites et connaître aussi bien les arts de l’amour que ceux de la culture. Ainsi, elles connaissaient le chant, la musique et la danse et s’illustraient dans l’art de converser, mais également dans l’ikebana (ou art de l’arrangement floral), la calligraphie et la cérémonie du thé. Leur haut rang leur permettait d’être traitées avec les égards dus aux aristocrates, bien qu’elles soient soumises à des règles de conduites d’une rigidité sans pareille : le moindre écart suffisait à les destituer de leur titre. Leur distinction leur permettait de pouvoir refuser les avances d’un client. D’ailleurs, obtenir les faveurs des Tayu suivait un rite très précis, long et complexe. L’intéressé devait au préalable avoir été recommandé à la Tayu par une lettre manuscrite. Si elle acceptait la requête, alors s’ensuivait trois rendez-vous onéreux au cours desquels aucun contact n’avait lieu mais où client et courtisane apprenaient à se connaître. A la suite de ces entrevues et sous réserve d’obtenir l’accord de la Tayu, alors le client pouvait entrer dans son intimité. La difficulté que représentait l’accès aux Tayu induisait une féroce compétition entre clients. Les Tayu étaient en effet considérées comme un modèle de femme idéale non seulement en termes de savoir-faire, mais également en termes de culture. Chaque Tayu pouvait compter auprès d’elle jusqu’à trois Kamuro, des petites servantes ayant entre 5 et 13 ans qui les assistaient tout au long de la journée.

• Les « Koshijoro » étaient plus accessibles bien qu’elles aussi devaient se plier à un ensemble de règles. Obtenir leur faveur était possible après une sollicitation manuscrite et un unique entretient. Les Koshijoro avaient elles aussi la possibilité de refuser un client, mais l’exerçaient beaucoup moins que les Tayu.

• Les « Tsubonejoro » : Ces courtisanes avaient suffisamment de prestige pour pouvoir posséder leur propre chambre, mais cependant pas assez pour être libres de refuser les avances et requêtes d’un client. A la différence des Tayu et des Koshijoro, aucune procédure particulière n’était nécessaire pour entre en contact avec elles.

• Enfin, les « Hashijoro » constituaient les courtisanes du rang le plus bas. Dépourvues de chambres personnelles, elles étaient contraintes d’en louer une et n’avaient en aucun cas le droit et la liberté de refuser un client. Elles étaient présentées dans des sortes de cages humaines donnant sur la rue, à la vue de tous les clients.

Hashijoro présentées dans des cages aux clients 

                 Après 1700, avec l’émergence d’une nouvelle classe bourgeoise enrichie d’une grande prospérité marchande et l’apparition des Geishas à qui revient la pratique des arts et de la culture, les hiérarchies de courtisane se recomposent, laissant place à une nouvelle définition des rangs.

• Les « Oiran » sont désormais au sommet de la pyramide. Tout aussi nobles et raffinées que leurs aînées les Tayu, les Oiran n’étaient cependant plus impliquées dans les arts de culture comme le chant ou la danse. Néanmoins, leur renommée restait grande grâce à un enseignement rigoureux qui les hissait comme représentante du raffinement ultime de la culture japonaise. Les Oiran, en vertu de leur rang, pouvaient être appelées en dehors du quartier auprès des seigneurs et hauts dignitaires de l’Etat. Le monde des Oiran se voulait si clos qu’elles possédaient même leur propre dialecte que le client se devait de connaître s’il voulait obtenir leurs faveurs. Pour autant, la complexité d’accès à ces courtisanes fit qu’elles tombèrent peu à peu en désuétude, les clients leur préférant les Geishas, plus abordables, pour le divertissement et les prostituées plus classiques pour les plaisirs du corps. Les Oiran existent toujours aujourd’hui, mais leur étiquette requière plutôt d’un phénomène culturel. Elles n’offrent en effet plus de services sexuels.

• Les « Zashikimochi » possédaient elles aussi leur propre appartement, mais dont le niveau de raffinement n’égalait pas celui des Oiran, quand bien même elles pouvaient avoir une ou deux servantes à leur disposition.

• Les « Heyamochi » regroupent les courtisanes possédant une simple chambre, n’ayant pas de servantes et dont les services sont beaucoup plus abordables.

                 Pour leur habillement, les courtisanes se vêtaient de Kimono. Constitué de 5 couches, soit 4 Kimono de satin et un de soie superposés, il équivalait à un poids de 3kg pour les courtisanes de bas rang. Pour les Oiran, le Kimono, très voyant et brocardé de couleurs vives, pouvait peser jusqu’à 11 kg. Il était d’autant plus lourd que, les jours de parades, les Oiran ajoutaient à leur costume, une coiffure ornée de nombreuses épingles à cheveux aux teintes orangées de 8kgs, agrémentée d’une broche en écailles de tortue censée évoquer les rayons de la lumière céleste dans le but de rappeler l’origine des premières prostituées. A cela s’ajoutaient de très hautes geta noires (chaussures traditionnelles japonaises qui s’apparentent à des tongs en bois) de 4 kg chacune. Ces chaussures, très lourdes, donnaient une démarche toute particulière à celles qui les portaient : avançant lentement, elles décrivaient un cercle vers l’extérieur avec le pied en même temps qu’elles fléchissaient le genou de l’autre jambe. Elles pouvaient mesurer entre 16 et 24 cm pour les courtisanes de bas rangs et 30 cm pour les Oiran. Leur hauteur étant, en fait, un marqueur du rang de la courtisane.

                De nos jours, une grande parade des courtisanes se déroule à Tsubame, Niigata, sous le nom de Bunsui Sakura Matsuri Oiran Dōchū. Cette parade met en scène trois Oiran vêtues de leurs plus beaux atours - Shinano, Sakura, et Bunsui - au milieu des cerisiers en fleur du mois d'Avril, et accompagnées par environ 70 serviteurs. Cet événement, également appelé « Parade des rêves d'Echigo » (Echigo no yume-dochu) est extrêmement populaire et de nombreux Japonais postulent pour jouer le rôle des Oiran ou de leurs serviteurs.

Oiran à l'époque d'Edo et Festival de nos jours présentant des Oiran

                 A leur mort, le corps des prostituées était évacué en toute discrétion à l’extérieur du quartier et jeté, entouré de paille, devant le temple Jokanji. Dans le cimetière reposent environ 20 000 prostituées. Un monument leur est d’ailleurs dédié, encore orné d’offrandes apportées par leurs descendants. Si les prostituées rompaient les liens avec leurs familles durant leur service, les sommes qu’elles gagnaient en vendant leur corps leur était cependant dédiées ce qui rendait les prostituées respectables dans une certaine mesure : elles se vendaient pour subvenir aux besoins de leurs parents.

               Dévasté encore par un nouvel incendie en 1913 et quasi rasé par le séisme de 1923, Yoshiwara n’a cessé de se reconstruire et reste aujourd’hui encore le quartier des plaisirs charnels même si, officiellement il fut fermé en 1956, l’année de la promulgation de la loi visant à abolir la prostitution. Elle persiste par le subterfuge des soaps land, premiers substituts aux maisons closes dès 1957 où les clients entrent pour « prendre une douche », c’est-à-dire se faire savonner par une jolie demoiselle et plus si affinité ; et autres services s’engouffrant dans la brèche législative qui circonscrit, au Japon, la prostitution au strict rapport sexuel avec pénétration, notamment les Fashion Health, Pink Salon ou Image Club (je laisse le soin à qui se sent intéressé de se renseigner sur la chose).

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                      S O U S   L E   S A B R E   :   K O Z U K A P P A R A

 

             Autre recoin des environs chargé d’histoire, déniché derrière un ensemble de voies ferrées, à l’abri des regards et des promeneurs, le site de Kozukappara au Nord, dévoile son bouddha géant. L’atmosphère est pesante, presque oppressante et tout à la fois solennelle. Il se dégage quelque chose en ce lieu qui dérange et qui interroge. Pourquoi tant de malaise ? Il faut se plonger dans les archives et les mémoires de la période Edo pour se rendre compte de l’historicité de l’endroit.

               Kozukappara était en fait, de 1651 à 1873, l’un des trois lieux d’exécution publique de la capitale Edo avec Itabashi et Suzugamori. Ici, entre 100 000 et 200 000 criminels auraient été tués par le shogunat Tokugawa, soit 1000 par an et donc, en moyenne, deux par jour. Plus de traces aujourd’hui des perpétrations de la peine capitale, le champ d’exécution ayant été recouvert par les lignes de chemin de fer ; seul témoignage, le petit cimetière couvé par l’ombre de l’immense Bouddha. Les « on dit » propagent l’idée que les trains des lignes Joban et Hibiya passant au-dessus de cette nécropole ralentissent afin de pas déranger les esprits qui hantent la région.

Sous le sabre : Kozukappara

                En tant que lieu associé à la peine capitale, Kozukappara était considéré comme spirituellement souillé, mais il avait surtout la réputation d’être le terrain d’exécution le plus sale et le plus cruel d’Edo. Et pour cause, les cadavres restaient entassés dans des fosses communes, à la mesure du mépris adressé aux criminels. Ainsi, chiens errants et autres animaux venaient régulièrement déterrer les corps pour se nourrir de leurs carcasses, ajoutant autant d’odeurs nauséabondes, à celles de la putréfaction de la chair. Une rue, Kotsu-dori, était réservée à l’exposition des corps et têtes des condamnés, juchée de tout son long  d’ossements humains dans le but de prévenir les visiteurs de la capitale Edo, des risques encourus s’ils ne respectaient pas la loi du régime. Et le shogunat n’avait pas la main légère sur les exécutions. Il existait plusieurs peines différentes pour « crime », qui se terminaient systématiquement par la mort du condamné avec une distinction notable entre les peines pour les nobles, et les peines pour les « communs ». Des recherches archéologiques et morphologiques réalisées par l’Université de Tokyo sur les crânes trouvés enterrés ici, confirment les méthodes d'exécution :

 

Pour les communs, en cas de vol, dans le cas des crimes considérés comme « standards », la peine encourue était la décapitation. 

• Dans un premier cas, décapitation avec rendu du corps à la famille.

• Décapitation avec utilisation du corps pour l’entrainement des samouraïs ; le corps n’était alors pas rendu à la famille, et l’on comprend pourquoi…

• Enfin, décapitation avec exposition de la tête pendant quelques jours à la vue de tous.

 

Pour incendie volontaire, la peine était le bûcher

Pour avoir tué un parent ou son mari, la peine était la crucifixion.

En cas de crime contre l’Etat, la peine était le sciage.

 

Dans le cas des nobles, les peines étaient la décapitation au sabre ainsi que le Seppuku, littéralement « coupure au ventre », c’est-à-dire le fait de couper le condamner en deux au niveau du ventre.

Exécution de condamnés

               Selon l’histoire, les condamnés devaient défiler autour de la ville avant leur exécution. Sur le chemin de Kozukappara, ils passaient sur le pont de Namidabashi, connu sous le nom de « Pont des larmes », depuis lequel ils adressaient leurs derniers adieux au canal.

 

              Malgré tout, ces exécutions, aussi sommaires sanglantes et cruelles furent-elles, servirent à la science. Au XVIIe siècle, Sugita Genpaku, un des premiers vrais docteurs et scientifiques japonais réalisa les premières autopsies au Japon sur les corps des exécutés. Avec ses collègues Nakagawa Junan et Katsuragaxa Hoshu médecins et érudits des études occidentales, il s’intéressa aux ouvrages européens et notamment hollandais livrés par bateau depuis le port de Nagasaki. Il traduisit le livre d’anatomie du hollandais Kulmus intitulé  « Ontleedkundige Tafelen », ayant découvert avec une autopsie que les schémas occidentaux des organes humains étaient beaucoup plus précis que ceux des manuels chinois.

 

               En 1741, à cet endroit, fut construit le grand bouddha de 3.5m de haut Kubikiri Jizō pour veiller sur le champ d’exécution. Un Jizō est en fait un bouddha qui, entre autres, garde les âmes du monde souterrain (c'est-à-dire les morts). A partir de ce moment, les exécutions avaient lieu devant cette statue. Ainsi, le géant Bouddha était la dernière chose qu'un criminel condamné voyait de ce monde. Au même moment fut construit le petit temple Enmeiji dont le but d’y enterrer les corps des condamnés exécutés.

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                      S A N Y A   :   V I L L E   D E S   B A N N I S

               A quelques encablures de là –et non innocemment, il faut le dire, se dresse tout fébrile le quartier de Sanya. Mais pas de "Sanya" sur les cartes de la ville, impossible d’y trouver une mention du quartier, toutes retirées en raison de sa stigmatisation historique et sociale. En effet, depuis l’époque Edo, Sanya est ce que l’on peut appeler un Burakumin. Littéralement, le terme désigne les gens du hameau, de la communauté, mais cette appellation est profondément marquée par la discrimination économique et sociale et stigmatise les groupes sociaux minoritaires. Les gens du hameau (« tokushu buraku » sont les descendants de la caste des parias existant sous l’époque féodale. Elle résulte de deux anciennes communautés nommées Eta pour la première, littéralement « pleins de souillures » et Hinin pour la seconde, ou « non humains ». Ces deux populations chacune reliée à des professions considérées comme méprisables à l’époque. Les Hinin désignaient alors les marginaux tels les gens du spectacle, les saltimbanques, les condamnés et les pauvres issus de la population « ordinaire », qui étaient réduits à mendier et à occuper les emplois « sales » : s'occuper des prisonniers, ou devenir bourreaux, croque-morts ou espions. C’est en cela que Sanya se trouvait non loin du champ d’exécution. Les Eta quant à eux étaient des parias héréditaires ; ils avaient le monopole des métiers liés au sang et à la mort des animaux : équarrisseur, bouchers, tanneurs, abatteurs d'animaux. Les Burakumin ont donc constitué dès l'époque féodale, une communauté de personnes mises à l'écart de la société et condamnées à le demeurer par l'effet d'une ségrégation sociale et spatiale, mais aussi parce qu’il était impossible de se décoller de cette étiquette. Ainsi Sanya se résumait à ce que l’on peut qualifier de ghetto. Aujourd’hui, on l’appelle plutôt «Higashi-Asakusa», «Nihonzutsumi» ou «Kiyokawa», mais ce n’est qu’une simple mascarade pour essayer de camoufler le fait que Sanya soit le côté plus sombre de la ville.

Sanya : ville des bannis

                 En dépit de la lutte des Burakumin, de l’abolition officielle du statut de paria en 1871, et des efforts du gouvernement via des financements voués à l’amélioration de la situation matérielle de ces quartiers ghettoïsés par la politique de « Dowa », les discriminations contre les Burakumin perdurent encore aujourd’hui. Les mentalités n’ont en effet pas changé et si les membres issus de ces minorités tentent d’effacer les traces de leurs origines, ces tentatives sont mises en échec par l’existence de ce que l’on appelle les « chimei sokan » ou « annuaires », qui, bien qu’officiellement interdits, continuent de recenser les personnes issues de ces « castes ». De fait, certains propriétaires immobiliers, ayant connaissance de ces répertoires refusent de louer leurs biens aux Burakumin. Certaines entreprises leur allouent un salaire plus faible comparativement aux autres travailleurs et les emploient pour des travaux de basse œuvre, tout ce que les autres salariés ne souhaitent pas faire. Ce fut le cas après Fukushima notamment. Enfin, certaines parentés refusent encore catégoriquement que l’un de leur membre ne s’unisse avec un membre d’une famille dont la lignée comprendrait un Burakumin. La communauté des Burakumin compte aujourd’hui plus de deux millions de personnes, vivant toujours dans les ghettos des grandes villes comme Osaka ou Kyoto.

 

              Sanya garde les traces de cette stigmatisation. Le quartier a en effet conservé cette association avec les classes de travailleurs pauvres, ouvrières ou artisanes et nombreux sont, ici, les sans-abris et les travailleurs journaliers venant proposer leur force d’ouvrage. C’est d’ailleurs ce qui explique, dans ce coin de la ville, la pléthore de lieux de séjour : hôtels et autres auberges ou maisons d’hôte dont les prix sont les plus bas de tous les environs pour permettre aux journaliers de se reposer. Ces établissements profitent de la manne touristique qui amène nombre de visiteurs chaque jour à Asakusa et ouvrent sans hésitation aux voyageurs de passage.

                 Par ailleurs, les Burakumin représentent 70% des membres du Yamaguchi-gumi, le plus grand clan Yakuza du Japon. Certains d’entre eux se sont implantés dans le quartier se sont emparé du marché du travail, recrutant les journaliers. Ces derniers, voulant s’émanciper de leur statut décidèrent de créer un syndicat et manifestèrent leur mécontentement. Dans les années 1980 avaient lieu de nombreuses manifestations de travailleurs à la journée, ce qui explique la présence dans le quartier d’un très grand Koban, ou poste de police local. Par ailleurs, ces révoltes des journaliers furent à l’origine de nombreuses crispations avec les Yakuza qui débouchèrent sur des violences et des meurtres. Un film documentaire, Yama—Attack to Attack, retrace l’histoire de ces luttes sociales, l’embauche et les conditions de vie des travailleurs journaliers à Sanya. Les deux réalisateurs, Mitsuo Sato et Kyoichi Yamaoka, furent tués par les Yakuza. A ce titre, le film s’ouvre sur la mort du premier réalisateur, Mitsuo Sata, venant de se faire poignarder. Le second réalisateur, lui, fut tué à la fin du tournage, lors de la toute première projection du film sur écran.

                Pour autant, au cours des dernières années, le quartier de Sanya connait un certain processus de gentrification, c’est-à-dire un embourgeoisement urbain qui fait doucement basculer le profil économique et social du quartier vers une réalité de couches sociales supérieures plus aisées, poussant les habitants moins favorisés d’autrefois à s’en aller.

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* Selon le journaliste Robert Guillain

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La visite des bas-fonds d’Asakusa, loin de se focaliser uniquement sur l’aspect touristique du Japon, m’a montré une facette plus grise, plus sombre ; une image que l’on relègue trop souvent derrière les dorures des sanctuaires alors qu’elle est une part objective de la réalité japonaise.

J’espère qu’à travers cet article, tout comme moi vous aurez apprécié cet autre regard, plus profond, porté sur le Japon et ce qui, foncièrement, le constitue.

 

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