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Le Japon Impérial

« L’Empereur au Japon est présent comme l’âme. Il est ce qui est toujours là et qui continue. On ne sait au juste comment il a commencé mais on sait qu’il ne finira pas. […] Il est à la fois ce qui demeure et ce qui oblige le reste à changer, ce qui à travers les vicissitudes et le temps rattaché à la racine, impose éternellement à la nation l’obligation de ne pas mourir  »

 Paul Claudel, Les funérailles du Mikado, L’Illustration, 26 mars 1927

 

       Si le Japon n’a de cesse de nous fasciner, c’est parce qu’il est riche d’une histoire et d’une lignée qui en fait toute sa particularité. Certes, le pays du Soleil Levant est démocratique, mais la figure de son chef d’Etat s’incarne aujourd’hui encore dans l’Empereur, être d’une succession que la tradition présente comme ininterrompue depuis l’Antiquité. Si l’Empereur est doté d’une force symbolique plus que militaire, l’attachement des japonais n’en reste pas moins indéfectible, et nombreux continuent de tenir les honneurs pour ce personnage national assimilé à une divinité. L’Empereur est, en effet, bien conçu comme le « dieu vivant ». Jusqu’au milieu du VIIe siècle, on le considérait comme étant Amenoshita shiroshimesu okimi, signifiant littéralement le « Grand Roi dirigeant [le territoire] sous le ciel ». Par la suite, l’appellation est devenue celle de Tenno, le désignant comme « Empereur Céleste », expression encore usitée de nos jours.

     ☼  Dans la lignée du Soleil

     ☼  Le pouvoir impérial

     ☼  La restauration de l'ère Meiji

     ☼  De l'Empire à l'Impérialisme

     ☼  Occupation et changements

     ☼  La force symbolique

     ☼  Entrer dans la Cour

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                    D A N S   L A   L I G N E E   D U   S O L E I L

       La naissance de l’Empereur est intrinsèquement liée à la fondation mythologique du Japon relatée dans les deux livres historiques Kojiki (ou chronique des faits anciens) et Nihon Shoki (ou Anales / Chroniques du Japon) datant respectivement de 712 et 720. Le premier se concentre sur les mythes formateurs et les origines des îles composant le Japon ainsi que les dieux tandis que le second se concentre sur les mérites et les erreurs des souverains, expliquant notamment les contacts diplomatiques établis avec la Chine et la Corée. Ainsi, selon le récit, le premier Empereur du Japon répondant au nom de Jinmu, serait le descendant de la Grande Déesse du Soleil Amaterasu elle-même fille des divinités Izanagi et Izanami qui créèrent non seulement la Terre, mais aussi le Japon. La lignée céleste de l’Empereur est toujours une croyance plus ou moins rependue chez les Japonais.

Dans la lignée du Soleil

Déesse du Soleil Amaterasu

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                    L E   P O U V O I R   I M P E R I A L 

       Si la Cour Impériale se développe du VIII au XIIe siècle, ce n’est qu’à partir de la Restauration Meiji en 1868 que l’on parle véritablement d’Empire du Japon. Sous la période Heian (794-1192), le Japon se modernise en s’inspirant des réformes menées par les monarchies coréennes successives et développe son administration basée sur le ritsuryō qui définit à la fois le code pénal, mais aussi le code administratif, largement inspiré du confucianisme et de ce qui se faisait alors en Chine. L’Etat se construit, unifié et centralisé autour du pouvoir qui change régulièrement de mains. Nombreuses sont en effet les nobles familles rivales à la famille impériale qui s’affrontent entre elles. L’une d’elles, le clan des Fujiwara, s’est habilement démarquée, en se rapprochant de l’Empereur et de sa famille grâce à des mariages leur assurant des liens étroits avec le pouvoir. Petit à petit, le clan est parvenu à s’imposer, allant même jusqu’à obtenir la domination du pays en instaurant une régence héréditaire. Pour autant, les nombreuses dissensions qui existent au sein du clan et la remise en cause de sa prééminence amènent tensions et rebellions. Ainsi, aux alentours de l'an 1000, l’État s'effondre dans les guerres incessantes que se livrent les clans entre eux ; le pays se déchire entre les clans des Minamoto et des Taira, alors les plus puissants militairement parlant. A l'État centralisé succède la féodalité.

       Nait en effet le premier shogunat : le clan vainqueur des Minamoto s’impose et exerce le pouvoir au nom de l’Empereur. Il constitue en vérité un gouvernement parallèle que l’on pourrait qualifier de seigneurial, sur des bases relevant d’une société féodale fondée sur des relations d’assistance et de fidélité. C’est la première fois que le pouvoir s’exerce en dehors de la famille impériale. En 1192, devenu le seigneur le plus puissant du Japon, le chef du clan Minamoto se fait nommer shogun, désignant par-là le titre de celui qui détenait le pouvoir militaire et civil au Japon, par l'empereur, qui, à Kyoto, se voit alors dépossédé de son autorité. On peut, pour ainsi dire, évoquer la disparition du premier pouvoir impérial qui, s’il existe encore de façon authentique, n’en reste pas moins une image, une façade bridée qui tente certes quelques intimidations et déstabilisations, mais demeure vidée de toute possibilité d’action.

Le pouvoir impérial

Panneau représentant les conflits qui faisaient rage pendant la période

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                    L A   R E S T A U R A T I O N   D E   L' E R E   M E I J I 

       C’est après 600 ans de régime Shogunal dont deux siècles de gouvernement sous l’égide de la famille Tokugawa que le Japon intronise un nouvel empereur. En 1853, une escadre américaine accoste l’île et force le pays, jusqu’alors hermétique et totalement isolé à s’ouvrir au monde, allumant la mèche des débats et conflits entre conservateurs et réformistes. En 1867, suite à la pression de quelques grands seigneurs entourant l’Empereur et plusieurs émeutes, le Shogun remet ses pouvoirs au jeune empereur Mutsuhito, âgé de seulement 15 ans. S’ouvre alors une nouvelle ère dans l’histoire du Japon connue sous le nom de Meiji ou, plus littéralement l’Ere des Lumières.  En 1868, la volonté est en effet de restaurer la grandeur passée en revenant à l’ancien régime impérial, tout en menant une « politique éclairée » assurant un contrôle unique sur tout le pays et conservant les avancées techniques et technologiques qui contribuèrent à hisser le Japon au rang des puissances mondiales. L’Empereur délaisse Kyoto pour s’installer à Edo, plus au Nord. Il devient la véritable figure de proue de la Nation, celui qui assure son principe de vie.

       La restauration Meiji est une révolution par le haut : l’Empereur impulse les changements à l’aide de ses conseillers. En premier lieu, il lui importe de supprimer les traces restantes de la féodalité. Si les seigneurs les plus puissants l’ont aidé à parvenir à la tête du pays, n’en reste pas moins qu’ils conservent leur autonomie et qu’ils puissent se retourner contre lui, d’autant que l’Empereur ne dispose pour l’heure d’aucune force de dissuasion. Ainsi, dans le but de les brider, en 1869, l’Empereur confisque aux seigneurs leurs terres et les droits qui s’attachaient à une telle possession ; les grands domaines deviennent alors des préfectures. En 1870 est promulguée la loi de conscription obligatoire, dans le but de former et entraîner une armée nationale. Les anciennes hiérarchies tombent : plus de seigneurs, plus de samouraïs. De fil en aiguille le gouvernement établit la première Constitution inspirée des modèles prussiens et américains grâce à des missions d’étude envoyées en Occident. Elle crée la Diète Japonaise, autrement dit le premier Parlement du pays, y fait siéger deux assemblées selon une volonté démocratique, fait de l’Empereur le chef des forces armées, tandis que les droits et devoir des sujets sont définis et, si la liberté de culte est assurée, le shintoïsme est tout de même considéré comme la voie de l’Etat. En bref, « la tradition nationale japonaise » se réinvente.

       En parallèle, la modernisation du Japon continue et s’accélère, affirmant un capitalisme qui vit le jour bien avant le contact avec l’occident, mais qui ne s’en fit pas moins influencer par la suite. Jusqu’en 1875 de grandes réformes calquées sur le modèle occidental sont menées, touchant à l’éducation l’armée ou encore le système juridique. Pour cela, des experts étrangers sont engagés. Les premières infrastructures de télécommunications et de chemins de fers sont déployées avec l'aide d'entrepreneurs anglais. Rapidement, l’archipel devient la nation asiatique la plus développée et s’impose comme une grande puissance régionale.

La restauration de l'ère Meiji

Ukiyo-e représentant la promulgation de la Constitution de Meiji

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                    D E   L' E M P I R E   A   L' I M P E R I A L I S M E

       Les deux siècles d’isolement ont nourri non seulement une méfiance à l’égard du reste du monde, mais encore une méconnaissance des règles internationales, source de handicap lorsque les américains ont forcé le pays à s’ouvrir par plusieurs traités inégaux. En 1853, le Japon décide alors de calquer sa conduite sur les puissances occidentales impérialistes et dominantes. La nouvelle ferveur nationaliste le pousse à l’expansionnisme, mais l’expansion coloniale n’est pas seulement histoire de conquête de territoires. Il s’agit également d’assurer ses arrières en contrôlant ses accès maritimes, tout en entrant dans la cour très fermée des Grands.

       Ainsi, c’est en 1873 que le Japon aiguise ses premières armes impériales en imposant un traité inégal analogue à ceux que les Occidentaux l’ont lui-même forcé à signer à la Corée. Puis, éclate en 1894 la première Guerre Sino-Japonaise. Le Japon intervient en Corée, alors vassale de la Chine, prenant prétexte de l’appel du Roi de Corée (à la Chine) pour mater une révolte de paysan. Il  justifie la mobilisation de 18 000 hommes par la volonté d’aider le pays, dissimulant son intention première. En réalité, Japon avait mauvaise vision de l’influence de la Chine sur la Corée et souhaitait extraire cette dernières des filets de la première. Au bout de deux années de guerre, le Japon finit par s’imposer grâce à sa flotte puissante inspirée de l’ingénierie française. Il obtient de la Chine le Formose (Taïwan) et le versement d’indemnités. Cette victoire est une surprise et modifie l’échiquier géopolitique : le Japon s’impose en Asie orientale et cela ne manque pas d’inquiéter les puissances européennes.

       Le Japon n’est cependant pas le seul à avoir des vues sur la Corée et les territoires du Sud de l’Asie. La Russie souhaite elle aussi affermir sa position en Extrême-Orient et avoir un accès à la mer du Japon. Pour cela, elle occupe la Mandchourie (au Nord-Est de la Chine) dès 1898 où l'amiral Alekseïev prend le titre de vice-roi en 1903. Le Japon cherche à s’opposer à cette avancée jugée menaçante pour ses intérêts dans cette zone considérée comme vitale et pose alors un ultimatum au pays des tsars dont la seule réponse est la poursuite du chemin entrepris. Dès lors, le pays du soleil levant ne trouve d’autre solution que d’attaquer l’escadre navale russe de Port Arthur le 8 février 1904, faisant éclater le conflit resté larvé jusqu’ici entre les deux puissances. La Russie, en proie à de graves troubles intérieurs (la révolution de 1905) ne tient pas et se voit contrainte de s’asseoir à la table des négociations. Là, il est convenu d’un partage de la Mandchourie en deux zones, respectivement Russe et Japonaise aux côtés de la Chine. Le Japon, par ailleurs, s’approprie la Corée (complètement annexée en 1910), la région de Port-Arthur et une partie de la Sakhaline située au Nord d’Hokkaido. C’est la première fois, dans l’histoire de l’époque moderne, qu’une puissance occidentale est défaite sur terre comme sur mer par un pays asiatique.

      L’implantation du Japon sur le continent après une cette victoire reste cependant fragile, elle est d’autant plus menacée par une potentielle unification de la Chine. Pour se prémunir d’un tel risque, la solution de l’archipel consiste à envahir la Mandchourie. En ce sens est organisé un sabotage de voie de chemin de fer sur le territoire par les militaires japonais qui accusent la Chine afin de donner prétexte à l’intervention du Japon et la création, quelques moins plupart de l’Etat fantoche du Mandchoukouo dirigé de facto par les japonais. C’est en fait, en Asie, le premier acte de la Seconde Guerre Mondiale.

 

       En 1937, après plusieurs années de conflit larvé, le Japon envahit l’Est de la Chine dans les règles de l’art, ce qui donne lieu à la Seconde Guerre Sino-japonaise qui l’amène finalement à conclure une alliance avec l’Allemagne Nazie face à l’hostilité des puissances occidentales. Parallèlement, le régime impérial se militarise tout en continuant son expansion vers l’Indochine française, la Birmanie, la Thaïlande, la Malaisie ou encore l’Indonésie Néerlandaise. Confiant, le Japon va jusqu'à bombarder le port américain de Pearl Harbor, le 7 décembre 1941. Cette attaque provoque l’entrée en guerre des États-Unis avec la conséquence que l’on connait à la fin de la Seconde Guerre Mondiale : les bombardements de Hiroshima et Nagasaki.

De l'Empire à l'Impérialisme

Première image de l'occupation de Pékin par les Japonais en août 1937

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                    O C C U P A T I O N   E T   C H A N G E M E N T S

                Le 14 août 1945, L’Empereur Hirohito annonce à son peuple, la voix chevrotante, la capitulation du pays. Les vainqueurs, réunis lors de la conférence de Postdam déterminent les termes d’une occupation japonaise sous la responsabilité états-unienne. Le président Truman nomme en ce sens le Général Mac Arthur commandant suprême des forces armées et le charge de diriger l’occupation du Japon. Deux semaines plus tard, les troupes d’occupation entrent en territoire japonais et doivent faire face à un pays exsangue : les villes sont en ruines et la misère sociale révèle des problèmes plus graves et profonds encore : chômage, prostitution, marché noir, nombreux orphelin, sous-alimentation… Le Japon est au bord du gouffre et de la famine que laissent présager de mauvaises récoltes. Dans ces conditions d’anéantissement, la mission première de Mac Arthur est alors de restaurer le réseau de distribution de nourriture afin de permettre la subsistance de chacun, après quoi il entreprend d’obtenir le support de Hirohito pour mener au mieux l’occupation. Ils se rencontrent le 28 septembre 1945.  L’objectif est de diriger le Japon vers une nouvelle voie.

 

       Mais la reconstruction du pays ne peut passer outre la modification des institutions existantes pour les américains qui souhaitent ouvertement démocratiser le pays dans le but d’éviter tout regain nationaliste et impérialiste. Le sort de l’Empereur est au cœur de la problématique de démocratisation, mais pour les américains, Hirohito ne doit être inquiété à aucun prix en dépit de la volonté des Russes, des Hollandais, des Anglais et des Australiens. Il en va de l’établissement de bonnes relations avec l’archipel, mais il s’agit en plus d’éviter la menace du chaos et du communisme alors que la Guerre Froide commence tout juste. De fait, l’Empereur évite non seulement sa comparution devant le Tribunal des criminels de guerre au procès de Tokyo, mais encore toute discussion publique sur sa responsabilité dans les méfaits commis par l’armée japonaise en son nom. La démocratisation passe également par l’impuissance politique : on sait la menace que représente la concentration des pouvoirs politiques dans une seule entité. Les américains, dans leur entreprise de refondation du régime japonais impose une nouvelle Constitution dès 1946 en remplacement de celle de Meiji datant de 1889. Le nouveau texte prévoit que l’Empereur soit dépouillé de sa souveraineté et réduit juridiquement à un rôle de symbole de l’Etat et de l’unité du peuple. Chacune de ses décisions doit, au préalable obtenir l’aval d’un organe du gouvernement. Ses attributions ne sont alors plus que formelles et cérémonielles, entre rites et protocole. A cela s’ajoute la renonciation publique de l’Empereur Hirohito, le 1er janvier 1946 par le biais d’un édit impérial radiodiffusé, à sa divinité. En même temps, le Shinto auquel on liait le culte impérial par la vénération des ancêtres est aboli en tant que religion d’Etat ; son financement ne sera dès lors plus l’œuvre de l’Etat. Il en devient alors de l’humanisation de l’Empereur, sa vie racontée en photographie autour d’un repas en famille ou d’une lecture du journal de l’armée américaine. Il fait le tour du pays, se trouve ovationné dans chaque préfecture où il est de passage, parfois humilié par des militaires américains qui lui réclament un autographe. C’est cependant un nouveau rôle que Hirohito peine à endosser. Très vite il se cloître dans son palais et apparaît publiquement de plus en plus rarement jusqu’à sa mort, en 1989.

       Enfin, dans la nouvelle constitution est ajoutée une clause de non-belligérance interdisant spécifiquement au Japon de déclarer la guerre.

« Chapitre II. Renonciation à la guerre

Article 9. Aspirant sincèrement à une paix internationale fondée sur la justice et l'ordre, le peuple japonais renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation, ou à la menace, ou à l'usage de la force comme moyen de règlement des conflits internationaux.

Pour atteindre le but fixé au paragraphe précédent, il ne sera jamais maintenu de forces terrestres, navales et aériennes, ou autre potentiel de guerre. Le droit de belligérance de l'État ne sera pas reconnu. »

Occupation et changements

Mac Arthur et Hirohito lors de leur première rencontre

le 27 Septembre 1945

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                    L A   F O R C E   S Y M B O L I Q U E 

 

   A Hirohito succède Akihito, 125e Empereur, selon la tradition Shinto, issu de la ligné Yamato. L’ère Heisei (littéralement « accomplissement de la paix »), qui commence avec son intronisation le 7 janvier 1989 rompt avec la tradition impériale perpétuée jusque-là. Son règne sur le trône du Chrysanthème (car le Chrysanthème est l’insigne de la famille impériale) aux côté de l’impératrice Michiko, apporte un vent de renouveau sur l’institution impériale. Sa première œuvre est de tenter de réconcilier le Japon avec son histoire. Outre le fait de reconnaître publiquement des liens de sang entre la lignée impériale et les familles coréennes royales, Akihito s’est personnellement excusé au nom de la Nation auprès des pays asiatiques ayant souffert sous l’occupation japonaise.

La force symbolique

Sceau impérial

       A l’occasion d’une visite du Premier Ministre Chinois Li Peng en avril 1989, il use pour la première fois du terme « regrets » et plus tard, en 1992, alors qu’il se rend lui-même en Chine il déclare « Dans la longue histoire des relations entre nos deux pays, il y eut une période tragique pendant laquelle mon pays causa de grandes souffrances au peuple de Chine. Nous avons reconstruit notre patrie et sommes fortement résolus à poursuivre notre chemin de pays pacifique sur la base de notre profond regret et de notre désir qu'une telle guerre ne se reproduise plus jamais. ». De même, il exprime ses remords envers la Corée en mai 1990 lors d’une entrevue avec le président sud-coréen Roh Tae-wooen en visite officielle au Japon : « En songeant à la souffrance que votre peuple a enduré pendant cette malheureuse période, par la faute de notre nation, je ne peux ressentir que le plus profond remords. ». Le 15 août 2015, à l’occasion des 70 ans de la capitulation japonaise lors de la Seconde Guerre Mondiale, Akihito exprime de « profonds remords » à propos du conflit mondial, y reconnaissant tacitement la responsabilité du Japon. Il n’a d’ailleurs jamais minoré les crimes de guerre du Japon contrairement à la droite.

       L’Empereur assure ainsi pleinement son rôle de représentation, se faisant également ambassadeur itinérant via de nombreux déplacements à l’étranger, restés jusqu’alors exceptionnels.  Le noyau impérial s’intègre à la diplomatie du pays qui cherche à s’attribuer un rôle grandissant dans les affaires du monde. 

       La fonction impériale n’a de cesse de se moderniser ; Akihito se distingue en bien des cas  de ses prédécesseurs en ce qu'il entretient une grande proximité avec le peuple japonais. Il est à ce titre souvent considéré comme un « homme de peuple ». Outre ses nombreuses visites dans les 47 régions japonaises, il a toujours été présent dans les moments difficiles qu’a connus son pays. Le 16 mars 2011, fait pour le moins rarissime, il intervient publiquement lors d’une allocution à la télévision en soutien aux victimes du séisme et du tsunami meurtriers survenus cinq jours auparavant, tout en exprimant son inquiétude face à la menace nucléaire que constitue centrale de Fukushima. Il n’hésite pas non plus à visiter avec son épouse Michiko un centre d’évacuation de Tokyo, allant même jusqu’à s’asseoir au même niveau que les victimes, un acte symbolique fort de proximité et de compassion là où, un siècle auparavant, il était impensable de lever les yeux sur lui.

       Par ailleurs, la modernisation se fait également par l’image : la révélation du cancer de la prostate de l’Empereur en 2002 est un exemple flagrant alors que la discrétion était jusque-là de rigueur sur l’état de santé de la famille. En atteste également le fait que les japonais très attachés au protocole impérial, acceptent désormais l’union des princes avec des roturières, ce qui était tout simplement impossible avant 1945. Néanmoins, si la loi japonaise dispose que les enfants impériaux de sexe masculin peuvent se marier en dehors de la famille impériale tout en conservant leur statut, il n’en va pas de même pour les femmes de la famille. Ainsi, si la plus âgée des petites-filles de Akihito, la Princesse Mako, tout juste fiancée à un roturier Kei Komuro, décide de l’épouser, elle perdra son titre et sera pour ainsi dire radiée de la famille impériale. A ce propos, l’opinion est prête au changement : 61% des japonais souhaiteraient que les princesses mariées en dehors de la famille impériale puissent garder leur titre et leur nom. Il revient aux législateurs de décider de rompre la tradition de la pérennité de la lignée impériale, mais la Diète est déjà en train de bouleverser les règles du jeu impérial. En effet, à l’été 2017, les législateurs se sont enfin mis d’accord pour adopter un projet de loi spéciale qui permettra à Akihito d’abdiquer à sa demande. Une option qui était interdite aux empereurs devant régner jusqu’à leur mort. En 200 ans de règle, Akihito sera donc le premier empereur du Japon a véritablement abdiquer en raison de ses problèmes de santé. Son fils, le Prince Naruhito, prendra alors sa suite à la date du 1er mai 2019 et deviendra le 126e empereur accédant au trône du Chrysanthème.

       Le débat sur l’abdication de l’Empereur questionne également le système de succession aujourd’hui en vigueur. L’idée de permettre l’accession au trône du Chrysanthème à une femme, en allant donc à l’encore du principe agnatique (c’est-à-dire d’une filiation considérée exclusivement du côté masculin) inhérent à la succession impériale, fait son chemin dans les esprits. 86% des japonais considéreraient qu’une femme puisse être en droit de détenir le titre d’impératrice et les fonctions et devoirs allant de pair. En 2005, le gouvernement a évoqué la possibilité de réformer la loi en ce sens. En effet, à l’époque, Akihito n’avait alors qu’une petite-fille, la princesse Aiko de Toshi, fille du Prince héritier Naruhito et de son épouse, la Princesse héritière Masako. Les conservateurs ont refusé cette possibilité, jugeant que cela affecterait le prestige de la Maison Impériale, mais le débat s’est finalement clos de lui-même avec la naissance du Prince Hisahito d’Akishino en septembre 2006. Pour autant la question pourrait bien se poser de nouveau si le système impérial n’évolue pas, Hisahito étant le seul héritier masculin après son père. Une question d’autant plus actuelle que la volonté est bien aujourd’hui, de supprimer les inégalités existantes entre les hommes et les femmes.

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                    E N T R E R   D A N S   L A   C O U R 

       Depuis la restauration Meiji, l’Empereur vit à Tokyo qui de facto est devenue la nouvelle capitale du Japon. Le palais impérial, aujourd’hui, se tient à l’emplacement de l’ancien Château d’Edo, la résidence des Shoguns successifs de la maison Tokugawa construit au XVe siècle dont il conserve les douves et le passé de Château fort ainsi que quelques vestiges de fortification que l’on peut apercevoir dans la partie des jardins ouvertes au public. En effet, la grande majorité du palais est fermée au public, à l’unique exception des jardins de l’Est. L’intérieur du Palais n’est pas visitable. Cependant, ses portes s’ouvrent deux fois dans l’année et permettent aux citoyens d’entrer dans la cour au 23 décembre pour l’anniversaire de l’Empereur et le 2 janvier en l’honneur du Nouvel An. C’est l’occasion pour la famille impériale d’apparaître depuis les vitres blindées de la véranda du Hall de réception Chowaden et de saluer la foule qui brandit le drapeau du Soleil Levant. La foule en liesse qui hurle « Heika Banzai » ou longue vie à l’Empereur.

Entrer dans la Cour

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On se retrouve très vite pour un nouvel article ! 

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